41ème fil: Ta fille sera ma grand-mère
Ma mère est ta grand-mère, tu seras la mère de ta fille qui ne sèmera jamais car enfouir la graine prochaine est un travail d’homme, mais qui sait s’il sera là pour récolter. Ma mère est morte jeune. Elle se louait dans les fermes. Comme nous. Nous nous sommes toujours louées, c’est le destin. Les saintes décident, à la naissance, si nous serons reine ou paysanne. Il faut leur adresser nos prières à chaque moment de la journée car elles sont partout, dans les plantes comme dans les rivières. La guérisseuse les voit. Si elle se signe, la biche buvant à une source se révèle sous sa forme sainte. Si la guérisseuse se prosterne dans la forêt, le seigneur qui semblait un arbre la bénit de la main.
Le prêtre dit, non, non, il ne faut pas écouter la guérisseuse, les saints occupent seulement le ciel. Mais pourquoi promène-t-il une statue sacrée pour bénir le labourage, s’ils ne sont pas dans les champs ? On prie un saint pour que le mur d’enceinte résiste aux bandits, une sainte pour que les hivers redeviennent doux comme autrefois, l’été plus ensoleillé, une autre sainte encore pour que l’homme reste. Si on ne peut pas demander aux saints de nous aider, que nous reste-t-il, à nous les pauvres? Le travail, la peine, la faim. Le ciel un jour, au-dessus des nuages. Je t’explique le sens du monde, pour que tout te soit clair. Tu fauches et tu es ma fille, ta fille sera ma grand-mère, comme je crible, et sa grand-mère sera la fille de sa fille, ainsi tu ressembles à ma mère, les hommes battent la céréale et nous vannons. Toutes les petites filles tiennent de leurs grands-mères plus que de leurs mères, tu comprends, car seuls les saints et les saintes suivent le temps quand il va et qu’il revient. Si on tisse en sens inverse, le fil retourne et défait l’ouvrage, quand le temps revient, et qu’on baptise les grands-mères du même prénom béni que leurs petites-filles?
Cliquez sur l’image pour révéler l’oeuvre qui l’a inspirée!