11ème fil: Ma mère était la plus belle de l’île
Ma mère était la plus belle de l’île. Ses cheveux noirs étaient épais et soyeux, ses yeux brillants, ses dents blanches. Elle ne sortait pas, Papa disait qu’on n’avait pas besoin qu’elle aille aux champs. Elle parlait peu. J’aurais tellement aimé qu’elle s’occupe de moi. Quand je lui demandais, elle me grondait. Pourtant, elle n’était pas si occupée. Le matin, elle brodait ses habits, qu’une vieille tante aveugle avait tissés. Quand un tissu était prêt, Maman l’essayait, elle se drapait dedans. Elle le caressait de ses mains. Puis elle s’occupait de ses cheveux. Elle prenait une goutte d’huile dans ses doigts et les lissait jusqu’à ce qu’ils luisent comme le collier en or qui ornait son cou. Parfois, elle me laissait la peigner, si elle était de bonne humeur.
La servante faisait chauffer de l’eau dans une grande bassine. Ma mère prenait un plat en argent pur que mon père lui avait donné et y versait un peu d’eau. Puis, sans respirer, pour ne pas troubler la surface, elle se penchait pour se regarder. On raconte dans l’île qu’une de mes aïeules était une enfant de faune, mais ma tante dit que ce n’est pas vrai, que c’était une princesse et qu’elle a épousé mon arrière-grand-père, c’est pour ça que Maman est tellement belle.
Elle se déshabillait. Je savais que jamais, jamais je ne serais belle comme Maman. Ensuite, elle versait dans l’eau quelques gouttes d’un élixir très précieux. Elle trempait un chiffon dans l’eau parfumée et se frottait le corps. Partout. Je voyais ses seins, ils tremblaient quand elle se frottait le dos. Elle ignorait que je la regardais. Si son ventre grossissait, un autre frère naissait quelques mois plus tard. Elle dormait pendant la journée. Je ne connaissais personne qui restait autant couché. Je m’approchais de son lit. Dormait-elle vraiment ? Il me semblait que ses cils frémissaient. Ses paupières me masquaient son regard, elle ne voyait pas combien je l’aimais, combien j’avais besoin d’elle.
J’aime toujours tes dessins et j’ai découverte que je peux les cliquer! Très cool de voir l’art original aussi, comme le pièce de Louise Bourgeois.
Je dois remercier ma mère à nouveau pour regarder pour moi et ne pas avoir dormi toute la journée. Touchante entrée.
xo Céline
Merci, Céline! Je crois, qu’en tant que fille, on a un peu l’impression que nos mères ne nous regardent jamais assez, tu ne crois pas?! Je trouve que cette oeuvre de Louise Bourgeois illustre bien la situation de cette femme, qui n’a pas besoin de sortir de la maison. J’aime beaucoup les oeuvres de Louise Bourgeois, j’admire aussi sa personalité!
Oui c’est vrai, nous voulons être regardé par nos mères tout le temps! Jusqu’à ce que nous atteignons treize ans, de toute façon.
J’aime cette interprétation de la pièce de Bourgeois! Maintenante que tu pointes sur la barrière, je pense de la qualité invisible du verre – “the glass ceiling” de nos temps et aussi comme femme je me sens un peu piégé par le regard des hommes et même des femmes parfois. Mais c’est un peu ma propre personnalité aussi 😉
J’ai eu la chance de la reconnaître quand j’étais enfant et je suis d’accord que sa personalité était forte! Généreuse aussi – elle avait un salon pour des jeunes artistes à sa maison et a demandé des questions à tout le monde, même les bébés comme moi. Sa vie est une grande source d’inspiration.
A travers le récit de l’enfant, on ressent l’enfermement de cette femme très belle. Enfermée dans sa maison, une prison dorée mais surtout “enfermée” en elle.
Exactement. Alors que sa beauté lui a permis de se hisser socialement, sa condition de femme de luxe la condamne à l’enfermement. Avez-vous deviné où l’histoire est censée se passer?