16ème fil: Un couple scandaleux
Oui, ils étaient heureux, pourquoi me poses-tu cette question? Mon père gâtait ma mère alors que, jaune et maigre, elle était loin d’être une beauté. Ma grand-mère essayait de sauvegarder notre réputation, dont mes parents ne se souciaient pas assez. Sur le pas de la porte, elle attendait ma mère alors que celle-ci rentrait dans nos quartiers:
– Vous êtes encore sortis ensemble ! Ce n’est pas ainsi qu’une femme et son mari se comportent. Toute la ville en parle. Mes cousines passent, mes nièces, la belle-soeur de mon frère, et je dois subir leurs commentaires ironiques, les oreilles rouges de honte.
– Je fais ce que mon mari me demande. Tu ne voudrais pas que je lui désobéisse?
– Il y a des moyens, comme toutes les femmes le savent. Tu compromets les chances de ta fille de se marier. En ne pensant qu’à vous, vous nous couvrez de honte. Où étiez-vous ?
– Chez un ami de mon mari.
– Chez un homme ?
– Oui.
– De pis en pis.
– Si nous n’en parlons pas, mère, très peu de gens le sauront.
– Si seulement. Son ami l’orateur ?
– Il n’est pas orateur.
– Un proxénète, alors?
– Exactement.
Ma mère se fraya un passage malgré Grand-Mère qui continuait à la raisonner. Elle me rejoignit à notre métier à tisser, mais je l’ignorai. Penchées les deux sur notre travail, comme nous le sommes ici, toi et moi, nous n’étions pas pourtant proches. Les mains tremblantes de fureur, elle cracha:
– Je vais demander à ton père qu’il l’envoie chez ma soeur. Je ne supporterai plus ses reproches. Quel insolence ! Blamer la conduite de son gendre qui comble tous ses désirs, alors que d’autres traitent leurs belles-mères comme des esclaves. C’est fini. Finie la belle vie. Elle ira voir chez ma soeur comment elle sera traitée. Et ton père et moi continuerons à mener notre vie comme nous l’entendons. Je te souhaite un mari aussi bon que le mien. Ils sont rares. Généralement, s’ils s’intéressent à leurs femmes qu’au début du mariage, et les délaissent une fois que les naissances suffisent à assurer une descendance. Les mâles. J’ai une vie enviable, elle est simplement jalouse, cette harpie ! Comme je m’ennuierais si je devais passer mes journées autour de ce métier, à commander des repas à la cuisinière !
Je ne répondis même pas.
Mon père arrivait, elle reprenait tout de suite sa gaité. Il l’emmenait avec elle. Au marché, à la ferme, au port. Souvent, à l’aube, avant que mon père reçoivent ses intendants, ils s’enfuyaient ensemble voir les pêcheurs revenir de la mer, ils leur achetaient du poisson, comme des pauvres. Je me rappelle les avoir entendus rentrer, riant, ils passaient à la cuisine puis partaient dans leurs chambres. Les serviteurs faisaient des remarques grivoises derrière leur dos en pensant que je ne comprendrais pas. Toute leur vie, mon père et ma mère ont partagé cette intimité malséante. Voici la cousine de ton père. Reprenons notre travail. Si elle s’adresse à toi, essaie de lui répondre aimablement, je t’en prie, elle n’admet aucune infraction à la tradition, quel ennui!
Une ombre sur enfin un peu de bonheur conjugal, j’ai hâte de lire ce qu’il sera advenu de la fille… (pour le dessin du couple étrusque au début, il n’y a pas la photo… C’est le sarcophage qui est au Louvre ?)
Bravo encore pour ce travail !
Merci! Nous avons de grands projets pour le proche avenir: un départ non seulement vers un autre pays, mais en fait un autre continent!!! Je vais rectifier la photo, merci de me le signaler. Le sarcophage est à Rome, il me semble, au Musée Etrusque. Cette civilisation m’a toujours paru plus douce, plus civilisée que celle, martiale, des Romains. Evidemment, ce sont les Romains qui se sont imposés rapidement dans le Latium!